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                    | Multiplicité
                      des points de vue requis  -
                      page 2/3 | 05/2002 |  Le
                développement progressif d'une musicologie importante, dès le
                XIXème siècle et tout au long du XXème,
                a déjà permis de constituer une meilleure connaissance
                des enjeux, des processus d'élaboration et des
                caractérisations stylistiques de la musique des siècles
                passés, et en particulier de la musique de l'Âge classique.
                Mais il a, conjointement et dans le même mouvement,
                instauré un filtre qui déforme, réoriente et colore de façon
                permanente cette même connaissance en élisant de façon
                subjective les traits les plus saillants de la perception que
                nous pouvons avoir de cette musique et de son inclusion dans une
                époque. Auditeurs L'étude de
                ce filtre, qui est avant tout un filtre collectif,
                est l'un des éléments du programme d'Études musicales de
                l'Académie Desprez ; elle s'avère complexe, y compris dans le
                nombre de ses composantes. Il semble nécessaire d'analyser de
                nombreux mécanismes qui ont conduit à modifier de façon
                durable l'écoute et la réception de la musique - analyse
                d'autant plus périlleuse que c'est précisément au XVIIIème
                siècle que l'émergence d'une pensée philosophique ayant pour
                objet la musique a conduit à cette modification. Parmi les
                principaux symptômes de cette évolution, la transformation
                radicale du rapport de la scène et de la salle d'une part, du
                rapport du texte et de la musique (où le rapport à la langue
                est progressivement devenu prééminent) d'autre part nous
                paraissent être les facteurs principaux qui nous empêchent à
                jamais de recréer la manière dont les œuvres musicales
                pouvaient être entendues avant la Révolution française.  Chercheurs
                & interprètes Paradoxalement,
                cette métamorphose de notre approche épistémologique de la
                production sonore est d'autant plus remarquable que les
                interprétations données des œuvres du passé ont cherché, au
                cours du siècle, à gagner le plus possible en fidélité - que
                ce soit dans l'instrumentarium employé, dans la manière d'en
                jouer, en incluant la voix humaine, ou encore dans les lieux de
                représentation. Cette situation montre bien que les
                interprètes ont été, dans cette modification perceptuelle,
                des acteurs de premier plan. Ils sont rejoints par une autre
                catégorie d'intervenants, les chercheurs et les historiens de
                la musique. Les chercheurs d'une part, les interprètes d'autre
                part agissent encore sous l'emprise d'un paradigme dominant au
                XXème siècle, qui affirme la nécessité d'une
                culture historique, large, exhaustive de l'histoire et de la
                géographie de la musique et des pratiques instrumentales et
                vocales, essentielle en premier lieu à l'interprétation de la
                musique contemporaine, en second ressort à celle de la musique
                du passé. De ce double rôle d'analyste et de traducteur, joué
                tant par les uns que par les autres, provient cette déformation
                de l'appréhension que nous pouvons avoir, en tant qu'auditeurs,
                de la musique dite classique. Compositeurs Le
                programme d'Études musicales se donne également pour but
                d'ouvrir la réflexion à l'intervention d'une troisième
                catégorie d'acteurs, dont le rôle, distinct de celui rempli
                par les précédents, ne semble pas moins déterminant, à
                savoir les compositeurs. Les
                compositeurs ont, eux aussi, dû affronter une extension
                obligée de la connaissance de leur art aux époques passées,
                et la mise en perspective de leur propre travail avec celui des
                hommes des siècles précédents. Dans la pratique de leur
                métier, ils ne doivent plus seulement être artisans - donc
                acquérir un savoir-faire - mais également savants,
                musicologues, historiens, théoriciens et penseurs ; si l'on
                adoptait une terminologie classique, il leur faut plus que
                jamais être philosophes. Ils sont donc soumis aux mêmes
                contraintes que les chercheurs et les interprètes, mais
                adjoignent, à cette contribution à une vision collective, leur
                subjectivité créatrice, qui les empêche de tout à fait
                suivre des orientations généralisées. Les filtres deviennent
                alors individuels, car uniques. Notre
                hypothèse de travail sera dès lors la suivante : les
                perceptions, multiples, de la musique de l'âge classique qui
                sont celles des compositeurs contemporains, et qui fonctionnent
                comme autant de filtres individuels, agissent en retour sur la
                pensée musicale dominante et l'interprétation collective que
                fournit notre époque de son propre passé. C'est cette
                hypothèse qu'il s'agit ici de vérifier, de caractériser, de
                mesurer et de raisonner. C'est elle,
                également, qu'il s'agit de mettre en œuvre. Rémy-Michel TrotierMai 2002
 Thématiques
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