Multiplicité
des points de vue requis -
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Le
développement progressif d'une musicologie importante, dès le
XIXème siècle et tout au long du XXème,
a déjà permis de constituer une meilleure connaissance
des enjeux, des processus d'élaboration et des
caractérisations stylistiques de la musique des siècles
passés, et en particulier de la musique de l'Âge classique.
Mais il a, conjointement et dans le même mouvement,
instauré un filtre qui déforme, réoriente et colore de façon
permanente cette même connaissance en élisant de façon
subjective les traits les plus saillants de la perception que
nous pouvons avoir de cette musique et de son inclusion dans une
époque.
Auditeurs
L'étude de
ce filtre, qui est avant tout un filtre collectif,
est l'un des éléments du programme d'Études musicales de
l'Académie Desprez ; elle s'avère complexe, y compris dans le
nombre de ses composantes. Il semble nécessaire d'analyser de
nombreux mécanismes qui ont conduit à modifier de façon
durable l'écoute et la réception de la musique - analyse
d'autant plus périlleuse que c'est précisément au XVIIIème
siècle que l'émergence d'une pensée philosophique ayant pour
objet la musique a conduit à cette modification. Parmi les
principaux symptômes de cette évolution, la transformation
radicale du rapport de la scène et de la salle d'une part, du
rapport du texte et de la musique (où le rapport à la langue
est progressivement devenu prééminent) d'autre part nous
paraissent être les facteurs principaux qui nous empêchent à
jamais de recréer la manière dont les œuvres musicales
pouvaient être entendues avant la Révolution française.
Chercheurs
& interprètes
Paradoxalement,
cette métamorphose de notre approche épistémologique de la
production sonore est d'autant plus remarquable que les
interprétations données des œuvres du passé ont cherché, au
cours du siècle, à gagner le plus possible en fidélité - que
ce soit dans l'instrumentarium employé, dans la manière d'en
jouer, en incluant la voix humaine, ou encore dans les lieux de
représentation. Cette situation montre bien que les
interprètes ont été, dans cette modification perceptuelle,
des acteurs de premier plan. Ils sont rejoints par une autre
catégorie d'intervenants, les chercheurs et les historiens de
la musique. Les chercheurs d'une part, les interprètes d'autre
part agissent encore sous l'emprise d'un paradigme dominant au
XXème siècle, qui affirme la nécessité d'une
culture historique, large, exhaustive de l'histoire et de la
géographie de la musique et des pratiques instrumentales et
vocales, essentielle en premier lieu à l'interprétation de la
musique contemporaine, en second ressort à celle de la musique
du passé. De ce double rôle d'analyste et de traducteur, joué
tant par les uns que par les autres, provient cette déformation
de l'appréhension que nous pouvons avoir, en tant qu'auditeurs,
de la musique dite classique.
Compositeurs
Le
programme d'Études musicales se donne également pour but
d'ouvrir la réflexion à l'intervention d'une troisième
catégorie d'acteurs, dont le rôle, distinct de celui rempli
par les précédents, ne semble pas moins déterminant, à
savoir les compositeurs.
Les
compositeurs ont, eux aussi, dû affronter une extension
obligée de la connaissance de leur art aux époques passées,
et la mise en perspective de leur propre travail avec celui des
hommes des siècles précédents. Dans la pratique de leur
métier, ils ne doivent plus seulement être artisans - donc
acquérir un savoir-faire - mais également savants,
musicologues, historiens, théoriciens et penseurs ; si l'on
adoptait une terminologie classique, il leur faut plus que
jamais être philosophes. Ils sont donc soumis aux mêmes
contraintes que les chercheurs et les interprètes, mais
adjoignent, à cette contribution à une vision collective, leur
subjectivité créatrice, qui les empêche de tout à fait
suivre des orientations généralisées. Les filtres deviennent
alors individuels, car uniques.
Notre
hypothèse de travail sera dès lors la suivante : les
perceptions, multiples, de la musique de l'âge classique qui
sont celles des compositeurs contemporains, et qui fonctionnent
comme autant de filtres individuels, agissent en retour sur la
pensée musicale dominante et l'interprétation collective que
fournit notre époque de son propre passé.
C'est cette
hypothèse qu'il s'agit ici de vérifier, de caractériser, de
mesurer et de raisonner.
C'est elle,
également, qu'il s'agit de mettre en œuvre.
Rémy-Michel Trotier
Mai 2002
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