| 
                  
                    | Musical
                      Programme Poésie, musique & mise au théâtre | 08/2006 |    Comment
                l’Art, qui pour créer le Beau a besoin du secours de la
                Raison, peut-il dès lors surprendre et créer l’émerveillement ?
                Dans un geste d’interprétation comme celui de la mise en scène,
                et de façon particulièrement sensible dans le cas du spectacle
                baroque, deux hypothèses également invérifiables
                s’affrontent et se repoussent. La première affirme que l’on
                pourrait intégralement, dans son ensemble et dans tous ses détails,
                déduire de façon objective une mise au théâtre à
                partir des consignes fournies par les sources ; la mise en
                scène serait alors un acte de transposition presque automatique
                et le metteur en scène un simple exécutant. La seconde prêche
                que la mise au théâtre d’une œuvre est une traduction de
                l’original du passé vers un mode présent, et dont le vouloir
                du metteur en scène, qui accède à la fois à la vérité de
                l’œuvre et au langage de ses contemporains, serait le
                truchement subjectif. Entre ces attitudes extrêmes,
                impossibles, la liberté que se voit contraint de prendre
                l’interprète est-elle une simple affaire de curseur ? Cambise,
                de Domenico Lalli et Alessandro Scarlatti, est un « cas »
                parfait pour appréhender ce clivage et ce questionner ce
                positionnement. Les sources sont prolixes en indications pour la
                mise au théâtre, la partition venant –fait exceptionnel–
                redoubler le livret en recelent des indications de mise en scène
                à la fois distinctes et complémentaires. Il semble donc
                possible, en mettant ces deux sources en relation avec un
                certain nombre de sources contextuelles –ce que l’on sait
                des spectacles de l’époque– de reconstruire une représentation
                idéale, originelle, de l’ouvrage. Or,
                c’est justement là que l’information est incomplète. En
                effet, nous ne connaissons, et ne pourrons jamais connaître
                complètement, les conditions et les modes de la mise au théâtre
                au dix-huitième siècle. L’hypothèse de la reconstitution
                totale est donc un phantasme. Surtout, le public –à qui ce
                travail est destiné– ne connaîtra jamais mieux l’époque
                que les artistes qui sont en charge de recréer le spectacle.
                Faut-il donc ne mettre sur scène que des images modernes, pour
                que le public en reconnaisse le sens ? L’expérience
                a montré que dans ce cas, la dichotomie entre le texte musical
                et les images était difficile à vivre, génératrice de
                confusion et non de sens, anecdotique et souvent au détriment
                de l’œuvre. Le
                respect du texte –littéraire et musical– 
                est donc le l’autre garant, avec la compréhension par
                le public, de la valeur de l’entreprise. Comment donc faire
                comprendre un texte à des hommes et des femmes qui n’en
                parlent plus la langue ? Dans
                le cadre de la Bourse
                de Réalisation "MUZIO",
                nous avons fait le choix d’explorer, aussi loin que possible,
                les deux directions. Il y a donc, pour commencer, de multiples
                traductions, transpositions, analyses, synthèses, du texte
                original. Le présent volume rend compte de ces interprétations
                littérales du texte, en commençant par en donner une
                traduction en français, destinée à la lecture à voix haute. Il
                y a aussi, rendue possible par ce travail d’exploration, de
                recherche, de synthèse et de compréhension accompli, la part
                du rêve, la liberté d’exprimer une chose par une autre, d’être
                un homme de son temps tout en connaissant intimement le passé.
                Il y a surtout la poésie rendue au metteur en scène que le
                dix-huitième siècle, s’il ne l’a pas connu, a créé,
                c’est-à-dire son arbitraire à dire une œuvre qu’il porte
                désormais en lui selon des termes qui sont ceux de sa vie
                quotidienne de jardinier des idées. Le spectacle est cette
                expression vivante d’une fréquentation du passé propre à
                illuminer nos vies présentes. Rémy-Michel
                Trotier31
                juillet 2003
   |